Comment les contes peuvent changer notre vie
Je vous invite à prendre le temps de regarder cette intervention où Damien Maric nous expose une nouvelle façon de penser et de vivre via les histoires et les contes. Témoignage très inspirant qui servira aux adultes et aux adolescents ! 🙂
Bonus :
Le vaillant petit tailleur
Par un beau matin d’été, un petit tailleur assis sur sa table et de fort bonne humeur, cousait de tout son coeur. Arrive dans la rue une paysanne qui crie :
– Bonne confiture à vendre ! Bonne confiture à vendre !
Le petit tailleur entendit ces paroles avec plaisir. Il passa sa tête délicate par la fenêtre et dit :
– Venez ici, chère Madame ! C’est ici qu’on vous débarrassera de votre marchandise.
La femme grimpa les trois marches avec son lourd panier et le tailleur lui fit déballer tous ses pots. Il les examina, les tint en l’air, les renifla et finalement déclara :
– Cette confiture me semble bonne. Pesez-m’en donc une demi-once, chère Madame. Même s’il y en a un quart de livre, ça ne fera rien.
La femme, qui avait espéré trouver un bon client, lui donna ce qu’il demandait, mais s’en alla bien fâchée et en grognant.
– Et maintenant, dit le petit tailleur, que Dieu bénisse cette confiture et qu’elle me donne de la force !
Il prit une miche dans le buffet, s’en coupa un grand morceau par le travers et le couvrit de confiture.
– Ça ne sera pas mauvais, dit-il. Mais avant d’y mettre les dents, il faut que je termine ce pourpoint.
Il posa la tartine à côté de lui et continua à coudre et, de joie, faisait des points de plus en plus grands. Pendant ce temps, l’odeur de la confiture parvenait jusqu’aux murs de la chambre qui étaient recouverts d’un grand nombre de mouches, si bien qu’elles furent attirées et se jetèrent sur la tartine.
– Eh ! dit le petit tailleur. Qui vous a invitées ?
Et il chassa ces hôtes indésirables. Mais les mouches, qui ne comprenaient pas la langue humaine, ne se laissèrent pas intimider. Elles revinrent plus nombreuses encore. Alors, comme on dit, le petit tailleur sentit la moutarde lui monter au nez. Il attrapa un torchon et « je vais vous en donner, moi, de la confiture ! » leur en donna un grand coup. Lorsqu’il retira le torchon et compta ses victimes, il n’y avait pas moins de sept mouches raides mortes. « Tu es un fameux gaillard », se dit-il en admirant sa vaillance. « Il faut que toute la ville le sache. »
Et, en toute hâte, il se tailla une ceinture, la cousit et broda dessus en grandes lettres – « Sept d’un coup ». « Eh ! quoi, la ville… c’est le monde entier qui doit savoir ça ! » Et son coeur battait de joie comme une queue d’agneau.
Le tailleur s’attacha la ceinture autour du corps et s’apprêta à partir dans le monde, pensant que son atelier était trop petit pour son courage. Avant de quitter la maison, il chercha autour de lui ce qu’il pourrait emporter. Il ne trouva qu’un fromage et le mit dans sa poche. Devant la porte, il remarqua un oiseau qui s’était pris dans les broussailles ; il lui fit rejoindre le fromage. Après quoi, il partit vaillamment et comme il était léger et agile, il ne ressentit aucune fatigue. Le chemin le conduisit sur une montagne et lorsqu’il en eut escaladé le plus haut sommet, il y vit un géant qui regardait tranquillement le paysage.
Le petit tailleur s’approcha bravement de lui et l’apostropha :
– Bonjour, camarade ! Alors, tu es assis là et tu admires le vaste monde ? C’est justement là que je vais pour y faire mes preuves. Ça te dirait de venir avec moi ?
Le géant examina le tailleur d’un air méprisant et dit :
– Gredin, triste individu !
– Tu crois ça, répondit le tailleur en dégrafant son manteau et en montrant sa ceinture au géant.
– Regarde là quel homme je suis !
Le géant lut : « Sept d’un coup », s’imagina qu’il s’agissait là d’hommes que le tailleur avait tués et commença à avoir un peu de respect pour le petit homme. Mais il voulait d’abord l’éprouver. Il prit une pierre dans sa main et la serra si fort qu’il en coula de l’eau.
– Fais-en autant, dit-il, si tu as de la force.
– C’est tout ? demanda le petit tailleur. Un jeu d’enfant !
Il plongea la main dans sa poche, en sortit le fromage et le pressa si fort qu’il en coula du jus.
– Hein, dit-il, c’était un peu mieux !
Le géant ne savait que dire. Il n’arrivait pas à croire le petit homme. Il prit une pierre et la lança si haut qu’on ne pouvait presque plus la voir.
– Alors, avorton, fais-en autant !
– Bien lancé, dit le tailleur ; mais la pierre est retombée par terre. Je vais t’en lancer une qui ne reviendra pas.
Il prit l’oiseau dans sa poche et le lança en l’air. Heureux d’être libre, l’oiseau monta vers le ciel et ne revint pas.
– Que dis-tu de ça, camarade ? demanda le tailleur.
– Tu sais lancer, dit le géant, mais on va voir maintenant si tu es capable de porter une charge normale.
Il conduisit le petit tailleur auprès d’un énorme chêne qui était tombé par terre et dit :
– Si tu es assez fort, aide-moi à sortir cet arbre de la forêt.
– Volontiers, répondit le petit homme, prends le tronc sur ton épaule ; je porterai les branches et la ramure, c’est ça le plus lourd.
Le géant prit le tronc sur son épaule ; le tailleur s’assit sur une branche et le géant, qui ne pouvait se retourner, dut porter l’arbre entier avec le tailleur pardessus le marché. Celui-ci était tout joyeux et d’excellente humeur. Il sifflait la chanson « Trois tailleurs chevauchaient hors de la ville» comme si le fait de porter cet arbre eût été un jeu d’enfant. Lorsque le géant eut porté l’arbre pendant quelque temps, il n’en pouvait plus et il s’écria :
– Écoute, il faut que je le laisse tomber.
Le tailleur sauta en vitesse au bas de sa branche et dit au géant :
– Tu es si grand et tu ne peux même pas porter l’arbre !
Ensemble, ils poursuivirent leur chemin. Comme ils passaient sous un cerisier, le géant attrapa le faîte de l’arbre d’où pendaient les fruits les plus mûrs, le mit dans la main du tailleur et l’invita à manger. Le tailleur était bien trop faible pour retenir l’arbre et lorsque le géant le lâcha, il se détendit et le petit homme fut expédié dans les airs. Quand il fut retombé sur terre, sans dommage, le géant lui dit :
– Que signifie cela ? tu n’as même pas la force de retenir ce petit bâton ?
– Ce n’est pas la force qui me manque, répondit le tailleur. Tu t’imagines que c’est ça qui ferait peur à celui qui en a tué sept d’un coup ? J’ai sauté par-dessus l’arbre parce qu’il y a des chasseurs qui tirent dans les taillis. Saute, toi aussi, si tu le peux !
Le géant essaya, n’y parvint pas et resta pendu dans les branches de sorte que, cette fois encore, ce fut le tailleur qui gagna.
Le géant lui dit :
– Si tu es si vaillant, viens dans notre caverne pour y passer la nuit avec nous. Le petit tailleur accepta et l’accompagna. Lorsqu’ils arrivèrent dans la grotte, les autres géants étaient assis autour du feu et chacun d’entre eux tenait à la main un monstrueux rôti auquel ils mordaient. Le petit tailleur regarda autour de lui et pensa : « C’est bien plus grand ici que dans mon atelier. »
Le géant lui indiqua un lit et lui dit de s’y coucher et d’y dormir.
Mais le lit était trop grand pour le petit tailleur. Il ne s’y coucha pas, mais s’allongea dans un coin. Quand il fut minuit et que le géant pensa que le tailleur dormait profondément, il prit une barre de fer et, d’un seul coup, brisa le lit, croyant avoir donné le coup de grâce au rase-mottes. Au matin, les géants s’en allèrent dans la forêt. Ils avaient complètement oublié le tailleur. Et le voilà qui s’avançait tout joyeux et plein de témérité ! Les géants prirent peur, craignirent qu’il ne les tuât tous et s’enfuirent en toute hâte.
Le petit tailleur poursuivit son chemin au hasard. Après avoir longtemps voyagé, il arriva dans la cour d’un palais royal et, comme il était fatigué, il se coucha et s’endormit. Pendant qu’il était là, des gens s’approchèrent, qui lurent sur sa ceinture : « Sept d’un coup ».
– Eh ! dirent-ils, que vient faire ce foudre de guerre dans notre paix ? Ce doit être un puissant seigneur !
Ils allèrent le dire au roi, pensant que si la guerre éclatait ce serait là un homme utile et important, qu’il ne fallait laisser repartir à aucun prix. Ce conseil plut au roi et il envoya l’un de ses courtisans auprès du petit tailleur avec pour mission de lui offrir une fonction militaire quand il s’éveillerait. Le messager resta planté près du dormeur, attendit qu’il remuât les membres et ouvrit les yeux et lui présenta sa requête.
– C’est justement pour cela que je suis venu ici, répondit-il. je suis prêt à entrer au service du roi.
Il fut reçu avec tous les honneurs et on mit à sa disposition une demeure particulière.
Les gens de guerre ne voyaient cependant pas le petit tailleur d’un bon oeil. Ils le souhaitaient à mille lieues.
– Qu’est-ce que ça va donner, disaient-ils entre eux, si nous nous prenons de querelle avec lui et qu’il frappe ? Il y en aura sept à chaque fois qui tomberont. Aucun de nous ne se tirera d’affaire.
Ils décidèrent donc de se rendre tous auprès du roi et demandèrent à quitter son service.
– Nous ne sommes pas faits, dirent-ils, pour rester à côté d’un homme qui en abat sept d’un coup.
Le roi était triste de perdre, à cause d’un seul, ses meilleurs serviteurs. Il aurait souhaité ne l’avoir jamais vu et aurait bien voulu qu’il repartît. Mais il n’osait pas lui donner son congé parce qu’il aurait pu le tuer lui et tout son monde et prendre sa place sur le trône. Il hésita longtemps. Finalement, il eut une idée. Il fit dire au petit tailleur que, parcequ’il était un grand foudre de guerre, il voulait bien lui faire une proposition. Dans une forêt de son pays habitaient deux géants qui causaient de gros ravages, pillaient, tuaient, mettaient tout à feu et à sang. Personne ne pouvait les approcher sans mettre sa vie en péril. S’il les vainquait et qu’il les tuât, il lui donnerait sa fille unique en mariage et la moitié de son royaume en dot. Cent cavaliers l’accompagneraient et lui prêteraient secours. « Voilà qui convient à un homme comme un moi », songea le petit tailleur. « Une jolie princesse et la moitié d’un royaume, ça ne se trouve pas tous les jours ».
– Oui, fut donc sa réponse. Je viendrai bien à bout des géants et je n’ai pas besoin de cent cavaliers. Celui qui en tue sept d’un coup n’a rien à craindre quand il n’y en a que deux.
Le petit tailleur prit la route et les cent cavaliers le suivaient. Quand il arriva à l’orée de la forêt, il dit à ses compagnons :
– Restez ici, je viendrai bien tout seul à bout des géants.
Il s’enfonça dans la forêt en regardant à droite et à gauche. Au bout d’un moment, il aperçut les deux géants. Ils étaient couchés sous un arbre et dormaient en ronflant si fort que les branches en bougeaient. Pas paresseux, le petit tailleur remplit ses poches de cailloux et grimpa dans l’arbre. Quand il fut à mi-hauteur, il se glissa le long d’une branche jusqu’à se trouver exactement au-dessus des dormeurs et fit tomber sur la poitrine de l’un des géants une pierre après l’autre. Longtemps, le géant ne sentit rien. Finalement, il se réveilla, secoua son compagnon et lui dit :
– Pourquoi me frappes-tu ?
– Tu rêves, répondit l’autre. Je ne te frappe pas.
Ils se remirent à dormir. Alors le petit tailleur jeta un caillou sur le second des géants.
– Qu’est-ce que c’est ? cria-t-il. Pourquoi me frappes-tu ?
– Je ne te frappe pas, répondit le premier en grognant.
Ils se querellèrent un instant mais, comme ils étaient fatigués, ils cessèrent et se rendormirent. Le petit tailleur recommença son jeu, choisit une grosse pierre et la lança avec force sur la poitrine du premier géant.
– C’est trop fort ! s’écria celui-ci.
Il bondit comme un fou et jeta son compagnon contre l’arbre, si fort que celui-ci en fut ébranlé. Le second lui rendit la monnaie de sa pièce et ils entrèrent dans une telle colère qu’ils arrachaient des arbres pour s’en frapper l’un l’autre. À la fin, ils tombèrent tous deux morts sur le sol. Le petit tailleur regagna alors la terre ferme. « Une chance qu’ils n’aient pas arraché l’arbre sur lequel j’étais perché. Il aurait fallu que je saute sur un autre comme un écureuil. Heureusement que l’on est agile, nous autres ! » Il tira son épée et en donna quelques bons coups à chacun dans la poitrine puis il rejoignit les cavaliers et leur dit :-
Le travail est fait, je leur ai donné le coup de grâce à tous les deux. Ça a été dur. Ils avaient dû arracher des arbres pour se défendre. Mais ça ne sert à rien quand on a affaire à quelqu’un qui en tue sept, comme moi, d’un seul coup.
– N’êtes-vous pas blessé ? demandèrent les cavaliers.
– Ils ne m’ont même pas défrisé un cheveu, répondit le tailleur. Les cavaliers ne voulurent pas le croire sur parole et ils entrèrent dans le bois. Ils y trouvèrent les géants nageant dans leur sang et, tout autour, il y avait des arbres arrachés.
Le petit tailleur réclama le salaire promis par le roi. Mais celui-ci se déroba et chercha comment il pourrait se débarrasser du héros.
– Avant que tu n’obtiennes ma fille et la moitié du royaume, lui dit-il, il faut encore que tu accomplisses un exploit. Dans la forêt il y a une licorne qui cause de gros ravages. Il faut que tu l’attrapes.
– J’ai encore moins peur d’une licorne que de deux géants. Sept d’un coup, voilà ma devise, répondit le petit tailleur.
Il prit une corde et une hache, partit dans la forêt et ordonna une fois de plus à ceux qu’on avait mis sous ses ordres de rester à la lisière. Il n’eut pas à attendre longtemps. La licorne arriva bientôt, fonça sur lui comme si elle avait voulu l’embrocher sans plus attendre.
– Tout doux ! tout doux ! dit-il. Ça n’ira pas si vite que ça.
Il attendit que l’animal soit tout proche. Alors, il bondit brusquement derrière un arbre. La licorne courut à toute vitesse contre l’arbre et enfonça sa corne si profondément dans le tronc qu’elle fut incapable de l’en retirer. Elle était prise !
– Je tiens le petit oiseau, dit le tailleur.
Il sortit de derrière l’arbre, passa la corde au cou de la licorne, dégagea la corne du tronc à coups de hache et, quand tout fut fait, emmena la bête au roi.
Le roi ne voulut pas lui payer le salaire promis et posa une troisième condition. Avant le mariage, le tailleur devait capturer un sanglier qui causait de grands ravages dans la forêt. Les chasseurs l’aideraient.
– Volontiers, dit le tailleur, c’est un jeu d’enfant.
Il n’emmena pas les chasseurs avec lui, ce dont ils furent bien contents car le sanglier les avait maintes fois reçus de telle façon qu’ils n’avaient aucune envie de l’affronter.
Lorsque le sanglier vit le tailleur, il marcha sur lui l’écume aux lèvres, les défenses menaçantes, et voulut le jeter à terre. Mais l’agile héros bondit dans une chapelle qui se trouvait dans le voisinage et d’un saut en ressortit aussitôt par une fenêtre. Le sanglier l’avait suivi. Le tailleur revint derrière lui et poussa la porte. La bête furieuse était captive. Il lui était bien trop difficile et incommode de sauter par une fenêtre. Le petit tailleur appela les chasseurs. Ils virent le prisonnier de leurs propres yeux. Le héros cependant se rendit chez le roi qui dut tenir sa promesse, bon gré mal gré ! Il lui donna sa fille et la moitié de son royaume. S’il avait su qu’il avait devant lui, non un foudre de guerre, mais un petit tailleur, l’affaire lui serait restée encore bien plus sur le coeur. La noce se déroula donc avec grand éclat, mais avec peu de joie, et le tailleur devint roi. Au bout de quelque temps, la jeune reine entendit une nuit son mari qui rêvait.
– Garçon, disait-il, fais-moi un pourpoint et raccommode mon pantalon, sinon je te casserai l’aune sur les oreilles !
Elle comprit alors dans quelle ruelle était né le jeune roi et au matin, elle dit son chagrin à son père et lui demanda de la protéger contre cet homme qui n’était rien d’autre qu’un tailleur. Le roi la consola et lui dit :
– La nuit prochaine, laisse ouverte ta chambre à coucher. Quand il sera endormi, mes serviteurs qui se trouveront dehors entreront, le ligoteront et le porteront sur un bateau qui l’emmènera dans le vaste monde.
Cela plut à la fille. Mais l’écuyer du roi, qui avait tout entendu, était dévoué au jeune seigneur et il alla lui conter toute l’affaire.
– Je vais leur couper l’herbe sous les pieds, dit le petit tailleur.
Le soir, il se coucha avec sa femme à l’heure habituelle. Quand elle le crut endormi, elle se leva, ouvrit la porte et se recoucha. Le petit tailleur, qui faisait semblant de dormir, se mit à crier très fort :
– Garçon, fais-moi un pourpoint et raccommode mon pantalon, sinon je te casse l’aune sur les oreilles, j’en ai abattu sept d’un coup, j’ai tué deux géants, capturé une licorne et pris un sanglier et je devrais avoir peur de ceux qui se trouvent dehors, devant la chambre ?
Lorsque ceux-ci entendirent ces paroles, ils furent saisis d’une grande peur. Ils s’enfuirent comme s’ils avaient eu le diable aux trousses et personne ne voulut plus se mesurer à lui. Et c’est ainsi que le petit tailleur resta roi, le reste de sa vie durant. (via)
Le vieil homme et le cheval blanc
Il était une fois un vieil homme qui vivait dans un petit village.
Bien que pauvre, il était envié par tous car il possédait un magnifique cheval blanc. Même le roi enviait ce trésor.
On n’avait jamais vu de tel cheval, tant par sa splendeur, sa majesté que par sa force.
Les gens offraient des fortunes pour cette monture, mais le vieil homme refusa toujours de le vendre :
– « Ce cheval n’est pas un cheval, pour moi », disait-il.
« Il compte pour moi comme une personne. Comment pourrait-on vendre une personne ?
Il compte pour moi comme un ami, pas comme un animal que je possède. Comment pourrait-on vendre un ami ? »
L’homme était pauvre et la tentation était grande, mais jamais il ne vendit le cheval.
Un matin, il constata que le cheval n’était plus dans son écurie. Tout le village vint le voir :
– « Vieux fou, » se moquèrent-ils, « Nous t’avions dit qu’un jour quelqu’un volerait ton cheval.
Nous t’avions prévenu que tu serais volé.
Toi, si pauvre, comment as-tu pu garder sous ta protection un animal si précieux ?
Tu aurais mieux fait de le vendre. Tu aurais pu en tirer le prix que tu voulais. Aucune somme n’aurait été trop importante.
Maintenant le cheval est parti, et c’est une mauvaise chose qui t’arrive.
Le vieil homme répondit : – « Ne parlez pas trop vite. Dites seulement que le cheval n’est pas dans l’écurie.
C’est tout ce qu’on sait, le reste n’est que jugements. Est-ce une mauvaise chose pour moi, ou non ?
Comment pouvez-vous savoir ? Comment pouvez-vous juger ? »
Les gens protestèrent : – « Ne nous prend pas pour des imbéciles !
Nous ne sommes peut être pas philosophes, mais il n’y pas matière à philosopher ici.
Le simple fait que ton cheval ne soit plus là constitue une mauvaise chose. »
Le vieil homme parla de nouveau :
– « Tout ce que je sais, c’est que l’écurie est vide et que mon cheval est parti. Je ne sais rien de plus.
Qu’il s’agisse d’une mauvaise chose ou d’une bonne chose, je ne peux pas le dire.
Nous ne voyons qu’un fragment des choses. Qui peut dire ce qui va arriver ensuite ? »
Les gens du village rirent et pensèrent que le vieil homme était fou.
Ils avaient toujours pensé qu’il était imbécile, car, s’il ne l’était pas, il aurait vendu le cheval et vivrait des revenus de cette vente.
Au lieu de cela, sa vie était celle d’un pauvre bûcheron, le vieil homme était encore obligé de couper du bois de chauffe, de le traîner à travers la forêt et le vendre. Il vivait au jour le jour, dans la misère et la pauvreté.
Il avait désormais prouvé qu’il était vraiment fou.
Quinze jours plus tard, le cheval revint. Il n’avait pas été volé, il s’était seulement enfui dans la forêt.
Non seulement il était revenu, mais il ramenait une douzaine de chevaux sauvages avec lui.
Une fois encore, les gens s’assemblèrent autour du bûcheron et lui dirent :
– « Vieil homme, tu avais raison et nous avions tord.
Ce que nous pensions être une mauvaise chose s’est révélé être une bonne chose. S’il te plaît, Pardonne-nous. »
L’homme répondit : – « Encore une fois, vous allez trop loin.
Dites seulement que le cheval est revenu et qu’une douzaine de chevaux l’accompagnaient, mais ne jugez pas.
Comment pouvez-vous savoir s’il s’agit d’une bonne chose ou non ?
Vous ne voyez qu’un fragment des choses. A moins que vous sachiez toute l’histoire, comment pouvez-vous juger ?
Vous ne lisez qu’une page d’un livre. Comment pouvez-vous juger le livre en entier ?
Vous ne lisez qu’un mot d’une phrase. Comment pouvez-vous comprendre la phrase entière ?
La vie est si vaste, et pourtant vous jugez tout de la vie sur une page ou un mot.
Tout ce que vous avez vu n’est un fragment des choses !
Ne dites donc pas qu’il s’agit d’une bonne chose. Personne ne le sait.
Je me contente de ce que je sais et je ne me tracasse pas de ce que je ne sais pas. »
– « Peut-être le vieil homme a-t-il raison » se dirent-ils entre eux. Ils n’en dirent pas beaucoup plus.
Cependant, au fond d’eux-mêmes, ils étaient persuadés qu’il avait tort.
Ils savaient qu’il s’agissait d’une bonne chose.
Une douzaine de chevaux sauvages étaient arrivés avec le cheval blanc.
Avec un peu de travail, ces animaux pourraient être domestiqués, entraînés et vendus pour beaucoup d’argent.
Le vieil homme avait un fils, un fils unique.
Le jeune homme commença à domestiquer les chevaux sauvages.
Quelques jours plus tard, il tomba d’un des chevaux et se cassa les deux jambes.
Une fois encore, les villageois s’assemblèrent autour du vieil homme et émirent leurs jugements.
– « Tu avais raison » dirent-ils. « Tu nous as prouvé que tu avais raison.
La venue des douze chevaux n’était pas une bonne chose. C’en était une mauvaise.
Ton fils unique s’est cassé les jambes, et maintenant, à ta vieillesse, tu n’auras personne pour t’aider.
Tu es maintenant plus pauvre que jamais. »
Le vieil homme parla encore : – « Vous êtes vraiment obsédés par le jugement.
N’allez pas si loin. Dites seulement que mon fils s’est cassé les jambes.
Qui sait s’il s’agit d’une bonne chose ou d’une mauvaise chose ? Personne ne le sait.
Nous ne connaissons que des fragments des choses. La vie vient de cette façon, par fragments. »
Il arriva alors que, quelques semaines plus tard, le pays s’engagea dans une guerre contre un pays voisin.
Tous les jeunes hommes du village furent réquisitionnés, sauf le fils du vieil homme, parce qu’il était blessé.
Une fois encore les gens se rassemblèrent autour du vieil homme, pleurant et se lamentant parce que leurs fils étaient partis à la guerre et avaient peu de chances d’en revenir.
L’ennemi était fort et la guerre serait une sévère défaite. Ils ne reverraient jamais leurs fils.
– « Tu avais raison, vieil homme, » gémirent-ils. « Dieu sait que tu as raison. Tout cela le prouve.
L’accident de ton fils était une bonne chose. Ses jambes sont peut être cassées, mais, au moins, il est avec toi.
Nos fils, eux, sont partis pour toujours. »
Le vieil homme répondit une fois de plus :
– « C’est vraiment impossible de discuter avec vous. Vous n’arrêtez pas de tirer des conclusions.
Alors que personne ne sait rien. Dites seulement : nos fils sont partis à la guerre, et le tien non.
Personne ne sait si c’est une bonne chose ou une mauvaise chose.
Personne n’est assez sage pour le savoir.
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